Dans une note de service en date du 20 novembre 2020, le ministre de la communication, Prof Ayewouadan Akodah, annonçait à l’intention des médias d’Etat, l’interdiction des perdiems sur les lieux de reportage.
Le député Gerry Taama n’a pas hésité de donner son appréhension sur la situation des journalistes togolais, les réalités du terrain et l’interdiction du ministre.
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Voici l’intégralité de son point de vue sur la situation
A coup sûr que les nouveaux ministres veulent marquer leur territoire et quoi de mieux que des décisions fortes, pour montrer qu’ils ont la main.
Il s’agit de quoi en réalité ? De ce qui est communément appelé « communiqué final » ou petit cadeau que l’organisateur d’un événement offre à l’endroit des journalistes à la fin de son activité. C’est donc cette pratique que le ministre veut interdire et sur le principe, c’est une bonne décision. Mais dans son application, il va se mordre les doigts, ceci pour plusieurs raisons.
Le première est que ces dons ne sont pas obligatoires mais laissés à la discrétion de l’organisateur. Depuis bientôt 10 ans que je suis en politique, aucun journaliste, du public ou du privé, ne l’a jamais obligé à le payer. Ils souhaitent, parlent de la précarité de leur situation, mais je n’ai jamais vu un journaliste public imposer le paiement. C’est simplement devenu une habitude acceptée par tous les acteurs. A la fin d’un évènement, on donne quelque chose aux journalistes. Chez beaucoup d’organisateurs d’événements, ça fait même partie du budget. Mais je le répète, de mon expérience, il ‘y a aucune obligation. Du coup, difficile de sanctionner un délit qui n’est pas matérialisé.
La seconde raison est qu’il existe bien des moyens de représailles, de la part des journalistes du public, à l’endroit de tout organisateur d’événements qui volontairement et ostensiblement, déciderait de ne pas intéresser les journalistes. Par exemple pour la TVT, l’élément passe deux jours plus tard (raison, actualité abondante), soit il passe au journal de 22h, ou dans les actualités régionales, ou alors, c’est juste une minute de reportage. Autant de subtilités qui peuvent s’expliquer rationnellement, même sur une demande d’explication du ministre. Et il n’y verra que du feu.
La troisième raison est que pour appliquer une telle décision, le ministre devrait aller plus loin. Aujourd’hui, pour se faire couvrir un évènement par les médias publics à Lomé, il faut aller chercher les journalistes avec son véhicule. Ils sont parfois si nombreux qu’il faut deux véhicules pour les chercher. Quand l’événement se trouve dans le même quartier qu’un journaliste et que c’est l’après-midi, il préfère venir avec sa moto et rentrer chez lui après. Donc il faut payer les déplacements. Si on met un terme aux prodigalités d’après évènements, il faut aussi assurer les déplacements des journalistes sur le terrain. Le ministère n’a pas les moyens pour cela. Pas suffisamment de voitures. Et que dire de la location de caméras sur le terrain, quand les journalistes n’en ont pas. A l’intérieur du pays, il m’est arrivé de payer 50 000f jour la location d’une caméra à un journaliste de la TVT pour couvrir mon événement. C’est ça, la réalité du terrain.
Pour finir, sans une vraie lutte contre la corruption et l’impunité, la base ne suivra pas. Je me souviens que dans les années 2005, l’armée avait lancé une opération pour lutter contre la perception de jetons aux différents barrages. Nous les officiers, étions chargés d’espionner nos soldats sur les postes. Ce que tous les soldats avaient unanimement donné comme réponse à cette initiative était :
– Eux ils volent des millions et nous c’est les 100 francs que les taximen nous donnent gratuitement qui les dérangent ?
Je dois dire que j’étais d’accord avec eux et je n’ai jamais fait arrêter aucun de ces pauvres diables.
Je parie que depuis la sortie de cette note, les journalistes du public ont certainement souri du coin en disant
– lui c’est parce que il est dans son bureau climatisé qu’il écrit tout ça. Est ce qu’il sait ce qui se passe sur le terrain même ?
La réalité est que le journaliste togolais vit dans une précarité affligeante. On ne devient pas journaliste par vocation, mais plutôt par vacation. Parce qu’on a rien trouvé d’autre à faire. Même dans les médias publics, la majeure partie des reporters sont soit des pigistes, des stagiaires ou des contractuels. Le journaliste n’est pas valorisé, il est le premier à arriver sur l’événement et le dernier à en partir. Quand on prend ceux du privé, parfois leur direction compte sur le communiqué final pour assurer leur déplacement.
Voilà, c’est plutôt dur d’être journaliste au Togo.
Le ministre fait preuve d’engagement et c’est bien, et il nuance en ciblant l’exigence, même si le code de déontologie interdise même, par nécessité d’objectivité, au journaliste de recevoir quoi que ce soit d’une tierce personne. Je crois qu’il faut davantage discuter avec les syndicats et les différents acteurs pour trouver des solutions pérennes.
Le Togo par le passé était réputé pour la qualité de ses journalistes, nous pouvons encore rattraper le coche.